27 mars 2011

Les medias francais continuent de dire n'importe quoi

Bonjour a tous,

J'en profite pour rappeller a tout un chacun, au risque d'une volee de mails affoles, que nous sommes revenus a Tokyo et y vivons notre vie normalement, tout comme 99.9% de la population locale. Aucune radioactivite digne d'etre mentionnee n'a atteint la capitale, et rien de porte a croire que ca pourrait changer - dans un futur proche en tout cas (je ne me risquerai pas a faire des projections sur le long terme).

Je vous imagine deja en train de m'ecrire une reponse pleine de verve a propos des doses d'iode 131 dans l'eau de Tokyo : pas la peine de vous fatiguer. Les niveaux ont depasse le seuil considere comme acceptable pour des nouveaux-nes par le ministere de la sante japonais, sur la base d'une consommation reguliere a l'annee, c'est a dire 100 Becquerels par litre (pointe mesuree a 210 Bcq/l). Ils n'ont jamais depasse celui de la dose acceptable pour des adultes. Il faut mettre cela en perspective : le niveau considere acceptable par le gouvernement japonais est une dizaine de fois inferieur a son equivalent francais. A ce que j'entends (je n'ai pas de sources indiscutables a ce sujet, je mets donc du conditionnel), on boirait tous les jours dans certaines villes de Bretagne une eau 3 a 4 fois plus radioactive que celle de Tokyo lors du fameux pic. Pourtant, les Bretons n'ont pas 3 bras* : c'est normal, le taux "catastrophique" de 210 Bcq/l equivaut, en termes paiens, a presque deux fois (deux fois !) celui contenu dans n'importe quelles bananes...
D'autre part, les taux sont revenus a la normale dans les 48h, je ne prendrai donc meme pas la peine de vous expliquer que les bonnes vieilles carafes a filtres a carbone(=Br*ta) retiennent 99.9% de l'iode, qu'elle soit radioactive ou pas. Les marchands d'eau minerale ont deja fait leur profit de toute facon.

Et j'en reviens donc a mon sujet principal, qui est celui des medias francais, qui cherchent desesperement a continuer de faire vivre le theme "Tchernobyl II" face a concurrence deloyale de la Lybie en terme d'audimat. Pas de bol pour eux, Reuters a tire la prise sur son live blog, helas ; c'etait une tres bonne source d'information. Les journalistes francais ne me contrediront pas, puisque la plus part de leurs articles etaient des ctrl+c ctrl+v de ces memes depeches Reuters, en oubliant bien sur de copier les "il se pourrait que", "d'apres [x]", "certains vont meme jusqu'a affirmer que" lors de la traduction, assenant comme des faits ce qui les arrangeait, et oubliant tout ce qui va dans un sens qui ne leur plait pas.
Voila donc nos chers journaleux livres a eux-memes, et on sent bien le desarroi. Je n'ai pas le coeur de vous en faire toute une liste, mais voici un exemple representatif : les 2 techniciens de Fukushima hospitalises vendredi pour des brulures aux jambes, apres avoir travaille presque une heure en trempant jusqu'au mollets dans de l'eau ayant, aux dernieres nouvelles, probablement fui des conduites d'eau de refroidissement du coeur.
Voici donc ce qu'on trouve en premiere page du Monde.fr actuellement :
Un taux de radioactivité "10 millions de fois plus élevé" que la norme a été détecté dans un flaque d'eau au sein du réacteur n°2. Les techniciens travaillant sur place ont été à nouveau évacués.
[UPDATE : My bad. Il s'agissait effectivement d'un news recente, qui n'etait pas encore sortie sur mes channels habituels, et qui se verifie (malgre une erreur d'unite quand meme, mais dans l'autre sens), pas d'une erreur sur les evenements similaires d'il y a 2 jours. Cf BBC quelques minutes plus tard.Donc voila, j'aurais mieux fait de fermer ma bouche. Je laisse quand meme mes commentaires originaux parce que j'assume ma connerie]
Et la, je me sens oblige de tirer mon chapeau face au professionnalisme du Monde, que pourtant je lisais avec enthousiasme jusqu'a il y a pas si longtemps.
1. Selon toutes les agences de presse serieuses, le chiffre en question est de 1万 (1 man), soit 10 mille fois et non un million, le chiffre "normal". Les Japonais ont des unites bizarres, certes, mais la ca sent quand meme la mauvaise volonte quand on fait les gros titres avec un facteur 100 d'erreur.
2. Les gars se trouvaient dans le batiment des turbines du reacteur numero 3, et certainement pas dans l'enceinte du reacteur 2.
3. Aucune mention d'une quelconque evacuation le 27 mars, comme stipule dans l'article, sur aucune agence de presse que ce soit Kyodo, Reuters, BBC... Soit ils parlent de l'evacuation de jeudi, et ils sont super a la bourre, soit ils mentent carrement.
4. Les 2 techniciens hospitalises sortent de l'hopital aujourd'hui, mais ca, ca ne merite pas d'etre mentionne dans l'article.

Sur ce, je retourne a mes occupations et continue de ne pas lire la presse francaise, parce qu'a chaque fois que je m'y essaie, je me fache tout rouge.

Et ce faisant, je renouvelle toutes les pensees envers ces memes "Fukushima 50", qui sont maintenant 700 a bosser en rotation, dans les condition toujours archaiques (une partie d'entre eux ont pu arreter de s'eclairer a la lampe torche apres 2 semaines dans le noir ; c'est le plus gros developpement jusqu'ici pour ce qui est de leurs conditions de travail). Les gars continuent de faire un boulot d'enfer, et c'est egalement en leur honneur qu'il faudra, une fois la crise calmee, faire tomber un bon nombre de tetes lobbyistes et amakudari qui ont cree la situation a Fukushima en ignorant les avertissements des vrais scientifiques depuis des annees a propos de l'insuffisance des mesures de securite dans cette centrale.
Il n'en reste pas moins que je suis impressionne par la resistance de cette centrale vieille de 40 ans, denoncee quasi-unanimement comme l'un des designs les plus mal foutus encore en operation aujourd'hui, et pas aidee par la culture industrielle japonaise (= on ne modernise pas tant qu'on n'a pas le couteau sous la gorge), face a un desastre bien au-dela de ses donnees de construction.
Oui la situation reste dangereuse, pour ne pas dire critique. Mais vu les magouilles qu'on entrevoit deja derriere tout ca quelques semaines seulement apres le debut de la crise, on ne peut que supposer l'ampleur du scandale a venir. Si cette tragedie (qui, je le rappelle, est celle des 20.000+ victimes du tremblement de terre et du tsunami, celle des villes entieres arrachees a leur vie et a leur terre sans aucune promesse de les revoir un jour, et pas celle des Flyjins qui ont eu une grosse frayeur ou des chinois qui achetent trop de sel) est l'occasion d'une remise en question de la gestion du nucleaire partout dans le monde, tant mieux. Tant que l'on reste rationnels et qu'on s'attaque au coeur du probleme, qui pour moi est le suivant : le nucleaire prive, dont la motivation est le profit, et qu'on laisse par des controles laxistes radiner sur les mesures de securite au nom de la profitabilite. Et tant ca ne tourne pas a la chasse aux sorcieres qui ne profitera a personne a part aux raffineries de petrole et aux energies sales**.

*sauf lorsqu'ils ont 3 verres devant eux, mais c'est une autre histoire.
** : oui, cher gouvernement allemand qui tire la prise sur des reacteurs de troisieme generation pour faire plaisir a la foule avec ses torches et ses fourches, c'est de toi que je parle.

16 mars 2011

Les ambasses US et UK se veulent rassurantes

Aucune necessite d'evacuer Tokyo d'apres leurs experts.
UK
US

Actuellement la France est le seul pays qui preconise l'evacuation.

[EDIT (27/03, longtemps apres les faits): dans les 2 jours qui ont suivi , les deux embassades ont retourne leurs vestes et sont passees en mode "evacuation volontaire", de meme que la plupart des pays Europeens.]

15 mars 2011

Pourquoi le Tchernobyl japonais n'aura pas lieu

Je bloggais ce matin sur les mauvaises nouvelles de Fukushima, et je suis alle jusqu'a evoquer la possibilite d'un "Tchernobyl II".
Apres reflexion et recherches, je tiens a retirer ce que j'ai dit.

Qu'est-ce qu'une fusion nucleaire ? ("core meltdown")
Pour faire simple, le carburant nucleaire a besoin d'etre refroidi en permanence. Pour maximiser l'efficacite du refroidissement, le carburant est sous forme de tubes tres fins, que l'on plonge dans l'eau qui evacue la chaleur. Si le niveau d'eau devient insuffisant, le carburant chauffe au-dela de son point de fusion ( qui est relativement bas, contrairement a la croyance generale). La couche protective sur les tubes de carburant se mettent donc a fondre en premier, ce qui comporte relativement peu de risques. Si la situation continue, alors le carburant lui-meme se met a fondre et devient une masse uniforme qui se regroupe au fond de la chambre de confinement. La surface de contact avec l'eau (si il en reste) devient trop faible pour permettre un refroidissement efficace, et on se retrouve un peu emmerdes quand il s'agit de decider quoi faire de ce coeur de reacteur tout casse. Mais le truc, c'est qu'a ce stade de fusion complete (qui est un cas extreme, qu'on a probablement pas encore atteint dans le cas de Fukushima), il n'y a toujours pas de radiation relachee dans l'atmosphere. Pour ca, il faudrait qu'il y ait une fuite dans la chambre ("reactor vessel") et avoir egalement une fuite dans l'enceinte de securite ("containment structure").

Le China Syndrome
C'est le petit nom qu'on a donne au "worst case scenario" dans le cas ou il y aurait fusion du reacteur : le combustible, ayant fondu et cree une "flaque" tres chaude au fond du reacteur, atteindrait des temperatures telles que le combustible ferait un trou a travers les plusieurs metres d'acier renforce et de beton qui le separent de l'environnement, se repandrait en environnement non controle, et continuerait de se forer un trou "jusqu'en Chine" (d'ou le nom).
Le truc, c'est qu'on a un seul exemple de fusion complete d'un reacteur de ce type dans l'histoire du nucleaire : la centrale de Three Miles Island aux US. Et la conclusion, c'etait que la temperature du coeur en fusion n'etait pas du tout suffisante pour percer les differentes structures de confinement. L'incident s'est termine avec des consequences minimes ; malgre 30 ans de recherches acharnees, aucune consequence sur la sante publique n'a pu etre mesuree.
Donc le China Syndrome, c'est tres improbable.

Et Tchernobyl, alors ?
La situation a Tchernobyl etait tres differente, notamment sur 2 points :
-le refroidissement se faisait a graphite et pas a l'eau. Le fond du probleme a ete que tout ce graphite a pris feu et a continue de bruler pendant des jours et des jours. L'eau, ca ne brule pas, on est donc plutot tranquilles de ce cote.
-la centrale de Tchernobyl n'avait carrement pas d'enceinte de securite (sic). Forcement, ca a un peu complique les choses.
J'en profite pour rappeller que le bilan humain de Tchernobyl a beau etre furieusement conteste, le pseudo-consensus se pose quand meme tres en deca de ce que la "sagesse populaire" (un oxymore, ai-je besoin de le rappeler?) le voudrait. Vous pouvez par exemple lire ceci. en dehors des 80-100 morts liees directement a l'accident, on compte environ 3 a 4000 cas de cancer de la thiroide etant tous survenus chez de jeunes gens ayant ete tres proche de la centrale au moment fatidique. Pour le reste, a part affectivement des pics de malformations suspects (de l'ordre de la centaine de cas), tout le reste est statistiquement insuffisant pour y mettre un lien de causalite clair.
Attention, je ne cherche absolument a minimiser l'horreur qu'a ete cet accident, ou a jouer les negationnistes, et j'invite ceux que j'aurais indigne a ranger tout de suite leurs missives enflammees et leurs chiffres estampilles Greenpeace. La ou je veux en venir, c'est que meme dans le pire du pire des cas, qui n'est absolument pas a l'ordre du jour ici, le sensationnalisme genre "toute de monde va crever de Tokyo a Hokkaido", c'est pas bien raisonnable.
Pour rester sur le mauvais parallele avec Tchernobyl, il ne faut effectivement pas oublier l'impact sur l'environnement, qui a ete terrible, et qui risque d'etre assez dramatique dans le cas present aussi.

D'une maniere generale, et pour essayer de resumer, il y a un vrai probleme a Fukushima et il est la pour durer. Le probleme nucleaire va rester un gros probleme dans les semaines et mois a venir, on n'en viendra pas a boout facilement, et ca aura des consequences durables et probablement terribles sur la region. Par contre, pour ce qui est du risque d'evenement catastrophique a court terme qui mettrait en danger la vie de la moitie du Japon, je pense qu'on se monte un peu beaucoup trop la tete en epingle.

Il reste quand meme deux gros points d'inquietude :
1. L'integrite du reacteur n2, qui n'a pas encore ete confirmee. On attend ca avec impatience.
2. L'etat du stockage de combustible usage dans le n4, qui a deja cree des problemes plus tot aujourd'hui (probablement a l'origine du pic de radiations de tout a l'heure). Je me renseigne un max sur ce dernier point en ce moment.

Le nucleaire n'est pas le seul probleme du Japon

Je fais une petite pause dans mon reporting nucleairo-centrique pour vous rappeller que le probleme concret au Japon reste les degats dus au tremblement de terre et au tsunami.
Les estimations les plus conservatrices donnent actuellement 5000 morts, et on s'attend a ce que le bilan s'alourdisse beaucoup (probablement 20.000 ou 30.000 morts). J'aimerais que les medias parlent un peu plus de ca, parce que le vrai drame, il est la. Et je ne parle meme pas des centaines de milliers, voire millions de refugies qui manquent de tout.
Mes pensees vont donc avant tout a ces gens la et aux familles des victimes.

Actuellement aucune irradiation serieuse n'a eu lieu, en dehors des 50 employes de la centrale qui travaillent d'arrache pied pour contenir la crise, et qui eux ont ete exposes a des niveaux de radiation franchement dangereux. Ces gens la sont deja des heros. Si j'etais croyant, c'est pour eux que je prierais.