29 janvier 2007

De l'intérêt d'être un gaijin

Ca commence a faire un moment que je tiens ce blog. Les messages quotidiens, c'est un truc plutôt récent, certes ; mais je commence quand même à avoir un début de lectorat. Et je viens de me faire la réflexion que parmi vous, très chers lecteurs, bien peu doivent en comprendre le nom, ce qui est un peu triste...
Réparons donc cette vilaine omission, avec une petite discussion sur le statut de gaijin.


En japonais, le terme désignant un étranger est gaikokujin (外国人: personne-d'un-pays-extérieur). Relativement récemment (dans le courant du sciècle...), ce terme a été contracté en gaijin ; mais à l'usage, le sens a sensiblement varié par rapport à l'original.
Notons d'abord que cette contraction conserve uniquement les kanjis pour extérieur et personne ; ce qui donne donc personne-de-l'extérieur... La différence est énorme. En effet, au Japon, le concept d'intérieur/extérieur est l'un des fondements de la société (外 soto ・ 内 uchi, ou intégration/marginalité, ou encore connaissance/inconnu). Le japonais moyen fait tout pour être uchi (agir, penser, s'habiller comme la majorité); être soto est humiliant et honteux. Evidemment, je caricature, mais ca permet de cadrer un peu les concepts fondamentaux qui se cachent derrière le fameux mot : "gaijin".
Gaijin est donc un terme péjoratif, à l'origine du moins. Les étrangers, particulièrement européens, sont très bien accueillis de nos jours, mais ce n'a pas toujours été le cas. Ce mot a été inventé à l'attention des Américains, à une époque où les Japonais et eux n'étaient pas exactement comme cul et chemise.
De nos jours, même si le terme n'est pas politiquement correct (vous ne l'entendrez pas à la télé), il est assez couramment utilisé. Surtout par les gaijin eux-mêmes d'ailleurs. Un peu comme les Noirs qui s'appellent "negro" entre eux, quoi... Les japonais, polis et attentionnés, répugnent souvent à l'utiliser - en tout cas en notre présence, à l'exception de certains d'entre eux, que l'on connaît bien. Des gens, donc, pour qui nous sommes devenus uchi : pas des japonais, mais des connaissances.

Concrètement, qu'est-ce que ca implique d'être un gaijin aujourd'hui à Tokyo ? Voilà une question absolument surdocumentée ; bouquins et sites internets à la pelle traitent de ce sujet. Pourtant, après en avoir lu un certain nombre, ca reste un peu flou. Ne prétendant pas à la compréhension du problème, je vais me contenter de raconter comment ca se passe pour moi...


Etre un gaijin, ca a d'abord quelques conséquences triviales mais rigolotes :
- Retrouver mes congénères dans la foule, même avec cette densité caractéristique de Tokyo, ne me demande en général pas plus d'efforts que me mettre sur la pointe de pieds et chercher une autre tête qui dépasse... A l'exception notoire de cette chère Sarah-chan ; dans son cas, il faut chercher une tête au même niveau que les autres, mais surmontée d'une touffe improbable et sautillant dans tous les sens :p
- Faire peur aux gens ! C'est certes un peu spécifique à mon statut de grand mâle barbu et dreadu, mais assez frappant. Quand je marche dans des rues peu frequentées la nuit, à peu près 80 pourcent des femmes seules que je croise changent de trottoir !! Et quand je prend le métro, les gens préfèrent toujours se tasser sur la banquette d'en face plutôt que de s'assoir à côté de ce louche individu que je suis, ce qui me laisse souvent le loisir d'être assis comfortablement...

il y en a d'autres comme ca, mais celles auxquelles je voudrais en venir sont substantiellement plus positives pour moi, dans le cadre du travail :
Si j'avais été japonais, mon quotidien au travail serait très probablememt un enfer. Principalement parce que je suis jeune, stagiaire, et très récemment entré dans l'entreprise. Trois conditions liées entre elles, certes, mais qui sont probablement les trois pires tares qu'un employé japonais puisse avoir ! En suivant le système hiérarchique japonais, aussi complexe que fondamental, je suis tout en bas de l'échelle. Le technico de bas-étage, la secrétaire, la serveuse à la cantine, les poissons rouges dans l'aquarium et peut-être même les plantes vertes ont un statut supérieur au mien... Ce qui m'obligerait, théoriquement, à passer mes journées à servir du café et autres basses besognes (cf Stupeur de Tremblements) tout en jonglant entre Keigo et Songo, deux variantes du japonais à utiliser lorsque l'on s'adresse à des personnes de rang supérieur. L'une sert à flatter son interlocuteur et l'autre à se rabaisser. Ce truc est si compliqué à utiliser que les japonais eux-mêmes se prennent les pieds dedans régulièrement, ce qui donne de bonnes excuses aux cheffaillons pour les réprimander (à se demander si ca n'a pas été inventé spécifiquement pour ca...). Exemple : en keigo (pour parler d'un supérieur), le verbe irassharu remplace à la fois les verbes être (quelque part), arriver, et partir. Vous imaginez un peu les quiproquos possibles avec un truc pareil ?? Exemple :
A : Bonjour, est-ce que Mr X irassharu (est la) ?
B : Bougez pas, je vais voir... Ah, il vient d'irassharu (partir).
A : Très bien, passez le moi svp.
B : Ah ben non, il irassharu pas (est pas la)...
A : Mais vous venez de dire que... Bon. Quand est-ce qu'il irassharu (revient) ?
B : Il irrasharu (est parti) il y a 5 minutes...
A : ...
Il y a évidemment des moyens de contourner le problème, mais on se demande qui est le sociopathe qui a mis au point ce language à la con, quand même !
Mais heureusement, puisque je suis un gaijin, j'en suis dispensé, et même félicité quand j'arrive à utiliser une formule de politesse basique correctement !! :)


Il y en a encore d'autres, mais mes horaires de travail sont terminés, alors je garde ca pour demain :p

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